La censure sous toutes ses formes est l’antithèse des relations publiques. C’est une pratique que l’on croirait passée de mode, et pourtant elle se pratique encore de nos jours, sous la forme des poursuites baillons. De quoi s’agit-il? Plutôt que d’affronter en débat public une opinion qu’elle conteste, une entreprise immensément riche déclenche une poursuite judiciaire contre l’organisation ou la personne qui la critique et qui n’a pas les moyens de se défendre et encore moins ceux de perdre. Elle écrase ainsi les opposants et fait l’économie d’un débat public.
Exemple le plus récent : le 17 février, le premier producteur d’or au monde, Barrick Gold, adresse une mise en demeure préventive à deux éditeurs, sept auteurs et deux traducteurs les menaçant de poursuite pour un ouvrage qui n’est pas encore écrit.
Vous avez bien lu. Les deux éditeurs projettent la publication d’un livre dont le titre de travail était Imperial Canada inc. : Legal Haven of Choice for the World’s Mining Industry. (Canada Impérial : refuge juridique de choix pour l’industrie minière mondiale). Intimidé, ils ont retiré leur projet.
Les menaces sont prises au sérieux. Il y a quelques années, Barrick Gold avait agi de la sorte afin de prévenir la publication du livre Noir Canada – Pillage, corruption et criminalité en Afrique. L’éditeur, qui avait choisi de publier malgré la menace, s’est retrouvé avec une poursuite en diffamation de 6 millions de dollars de Barrick et d’une autre de la minière Banro Corp. De quoi l’obliger à fermer ses portes.
Je n’ai lu aucun des deux ouvrages mentionnés ici et je ne me prononce donc pas sur leur contenu. Et les grandes entreprises ont certainement le droit de se défendre, incluant par le biais de poursuites en diffamation. Toutefois, le moyen retenu ici est illégitime du point de vue du débat démocratique. Parions que l’approche des compagnies minières ne réussira qu’à attirer plus que jamais l’attention des médias sur leurs pratiques et qu’en prime, elles devront aussi mener de front un deuxième débat, sur leurs pratiques délétères pour la démocratie.
Pour une fraction du prix que leur coûtera l’approche juridique, ces entreprises auraient pu mener un effort efficace de relations publiques. Elles se retrouveront plutôt au centre d’un double débat articulé sur la question suivantes : qu’ont-elles de si terrible à cacher qu’elles utilisent des moyens si brutaux pour supprimer le débat public?
Et en passant, en attendant le procès qui doit avoir lieu à l’automne 2011, le livre Noir Canada est en vente. J’ai soudainement une furieuse envie de me le procurer.
Pour en savoir davantage : Le Devoir, page A9, édition du 25 mars
mardi 30 mars 2010
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Guy,
RépondreSupprimerMerci pour ce billet. Je partage ton point de vue: dans une société démocratique, une telle pratique est aussi scandaleuse qu'inacceptable. J'avoue d'ailleurs être perplexe face au silence (à moins d'avoir manqué quelque chose) de l'industrie des communications au sujet des fameuses SLAPP. Il me semble qu'il s'agit pourtant là d'une pratique qui peut difficilement se réclamer de l'intérêt public.
Matthieu Sauvé