Rechercher dans ce blog

jeudi 28 octobre 2010

professionnalisation du journalisme - ADDENDUM

J’écrivais le 13 septembre que l’octroi d’un soutien gouvernemental au maintien des médias d’information, voire du journalisme lui-même, ravivera inévitablement le débat sur la reconnaissance d’un statut professionnel pour les journalistes. Le récent jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire opposant le groupe Polygone au Globe and Mail et au journaliste Daniel Leblanc amène de l’eau à mon moulin.


Dans cet affaire, comme d’ailleurs dans une autre affaire récente traitée par la Cour suprême et impliquant le National Post, les médias réclament la reconnaissance pour les journalistes d’un privilège de nature constitutionnelle ou quasi-constitutionnel qui leur permettrait de préserver la confidentialité de leurs sources. La Cour soulevait plusieurs arguments à l’encontre de la reconnaissance de ce privilège, dont celui-ci :

(les citations sont tirées du jugement de la Cour suprême dans l’affaire Globe and Mail c. Canada (Procureur général) 2010 CSC 41)

Paragraphe 20 : «…la cour n’était pas disposée à conférer une immunité constitutionnelle aux interactions entre un groupe de rédacteurs et d’orateurs aussi hétérogène et mal défini…»

Paragraphe 21 :  «La Cour a également rejeté la thèse de l’existence d’un privilège générique parce que les journalistes ne sont assujettis à aucun processus d’agrément officiel, contrairement aux avocats par exemple, et qu’aucune organisation professionnelle ne régit la profession et ne veille au respect des normes professionnelles. »

La Cour suprême assassine aussi toute prétention à la protection des sources qui reposerait sur le secret professionnel tel qu’il est défini dans les lois québécoises :

Paragraphe 36 : « À mon avis, il n’existe aucun fondement à l’établissement d’une analogie entre le secret professionnel et le privilège du secret des sources des journalistes. Tout d’abord, les associations de journalistes ne sont pas réglementées. Toute personne peut devenir membre et, fait important, les journalistes n’appartiennent pas tous aux associations existantes, comme la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. La Fédération ne détient aucun monopole sur la pratique et la réglementation de la profession de journaliste dans la province. De plus, le législateur n’a pas, au nom de l’intérêt public, cherché à réglementer directement la profession de journaliste ou à lui déléguer un pouvoir d’autoréglementation.»

Il y a plusieurs obstacles à la reconnaissance d’un droit ou d’un privilège permettant à un journaliste de refuser de divulguer une source. Mais celui-ci est central : avant de reconnaître un tel privilège, il faudrait pouvoir définir avec précision QUI est un journaliste (et accessoirement qu’est-ce qu’un média d’information). On est encore très loin du compte et vu la résistance atavique d’un très grand nombre de journalistes à toute forme d’encadrement professionnel contraignant, il est douteux qu’on y parvienne bientôt, sinon jamais.

mercredi 27 octobre 2010

Les assises juridiques des relations publiques

Les opinions exprimées dans ce texte sont uniquement attribuables à l’auteur. Néanmoins, le texte s’inspire très étroitement d’une étude produite par Mme Geneviève Cartier, professeure titulaire, Faculté de droit, Université de Sherbrooke, pour le compte du la Commission d’enquête sur le processus de nomination des juges du Québec, datée du 1er septembre 2010 et disponible sur le site : http://www.cepnj.gouv.qc.ca/etudes-des-experts.html


Bien qu’aucune loi n’en établisse l’existence comme c’est le cas pour les professions reconnues, il est néanmoins possible de conclure, à partir de certains textes juridiques, en l’existence d’une légitimité démocratique pour la pratique des relations publiques.

Plusieurs décisions rendues par la Cour suprême du Canada depuis le milieu du XXe siècle indiquent que l’exercice du pouvoir de l’État, pour être légitime, doit nécessairement tenir compte de l’impact des décisions sur les personnes qui en sont l’objet. Si cela est vrai, il en découle le besoin pour l’État de connaître quels sont ces impacts, donc d’entrer en relation avec les citoyens.

En 1946, les témoins de Jéhovah publient une brochure attaquant le catholicisme romain qui fait scandale. Plusieurs centaines d’entre eux sont arrêtés en vertu d’une loi adoptée pour lutter contre le communisme (!!!). Frank Roncarelli, restaurateur prospère de Montréal et lui-même témoin de Jéhovah, en fait libérer un très grand nombre en payant leur cautionnement. En réaction, le Premier ministre Duplessis ordonne la révocation du permis d’alcool du restaurant de Roncarelli, entraînant la fermeture de l’établissement. Estimant avoir été victime de représailles injustes et s’être fait priver de permis sans cause valable, Roncarelli porte l’affaire devant les tribunaux. La Cour suprême lui donnera raison en 1959 et condamnera Maurice Duplessis à payer personnellement des dommages-intérêts. Sous la plume du juge Rand, une majorité de juges affirment que même lorsque le texte d’une loi semble lui donner un pouvoir discrétionnaire sans restriction, le décideur doit toujours servir les buts de la loi dans une perspective de service public, et en tenant compte de la situation des individus visés par la décision (les italiques de ce paragraphe et des suivants sont de moi).

Vingt ans plus tard, dans l’affaire Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners, une majorité de juges de la Cour suprême affirme que, même lorsque la loi n’impose aucune obligation spécifique à cet effet, une autorité publique qui exerce un pouvoir discrétionnaire a l’obligation d’entendre les personnes dont les droits ou les intérêts sont susceptibles d’être affectés par la décision. L’impact de la décision sur l’individu, affirme la Cour, affecte la nature des obligations du décideur.

La Cour suprême ira encore plus loin en 1979, dans l’affaire Baker c. Canada (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), en précisant qu’il ne suffit pas pour les pouvoirs publics d’écouter les personnes visées avant de décider; les décisions doivent aussi être motivées d’une manière qui démontre que le décideur a été sensible aux particularités de la personne visée.

À travers ces trois décisions, la Cour suprême précise les conditions de l’exercice du pouvoir en démocratie. Les gouvernements sont régulièrement appelés à prendre des décisions qui affectent la vie des citoyens. Ils doivent le faire dans le respect des principes fondamentaux de la primauté du droit et de la démocratie. Les limites au pouvoir discrétionnaire de l’État s’expriment plus souvent qu’autrement à travers le dialogue entre le décideur et la personne ou le groupe visé par son action.

Très concrètement, ces trois jugements disent que les pouvoirs publics ont une obligation de dialogue avec leurs populations. Une part essentielle de ce dialogue s’exprime à travers le processus électoral et la fonction de représentation des élus, mais cela est loin d’être suffisant. Les états modernes, et même les grandes municipalités, ont dépassé depuis longtemps le stade où il était possible pour le député, ou pour le maire, de tout savoir et de tout contrôler. Le pouvoir légitime de l’État s’exerce aujourd’hui à travers de vastes appareils bureaucratiques qui exercent des pouvoirs qui leurs sont délégués en vertu des lois et règlements adoptés par les élus. Pour ces appareils publics, la consultation et le dialogue avec leurs administrés ne sont pas optionnels.

Ainsi, les RP modernes trouvent-elles une justification au cœur même des principes fondamentaux de la démocratie et de la primauté du droit. Car si les pouvoirs publics ont l’obligation de consulter, il en découle qu’ils ont aussi l’obligation de se doter des moyens et de l’expertise requise pour cela. Et cette expertise est très clairement détenue par les relationnistes davantage que par tout autre groupe professionnel.