Voici un texte que je publie aujourd'hui sur le blog de Michelle Sullivan, dans le cadre d'un débat en cours concernant l'éthique et les relations publiques. Les textes complets de l'ensemble du débat peuvent être lus à l'adresse que j'indique en pièce jointe.
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Anne-Marie Gagné soulève l’éternel dilemme du relationniste : est-il au service exclusif de son client, ou est-il au service du public? «Il serait louable de penser que le relationniste est d’abord et avant tout «au service» de l’intérêt public. Mais dans les faits, est-ce vraiment le cas?»
Ma réponse courte est la suivante. Le relationniste est d’abord et avant tout au service de son client, ou de son employeur, il ne saurait y avoir aucune ambiguïté à ce sujet. Mais il servira aussi l’intérêt public – et sa profession - s’il assume ses responsabilités de manière éthique, c’est-à-dire en tenant compte des opinions et des intérêts des parties prenantes et en favorisant un dialogue, plutôt qu’en cherchant à écraser les parties prenantes, à refuser le dialogue, à supprimer des opinions contraires à celle de son client. J’affirme aussi que dans une perspective de long terme, le client sera mieux servi s’il l’a été dans le respect de l’éthique professionnelle des relations publiques.
Ma réponse longue demande une démonstration que je résumerai dans les pages qui suivent. Je précise qu’il s’agit ici d’une réflexion personnelle et non d’une recherche académique car je n’ai jamais eu l’occasion de lire tout ce que je devrais lire pour prétendre être à jour relativement à la théorie, même si je lis tout de même un peu. Mais dans la mesure où ces quelques réflexions ancrées dans ma pratique peuvent contribuer, allons-y.
Commençons par clarifier deux concepts, que l’on invoque souvent en les confondant : la protection du public, et l’intérêt public (ou l’utilité publique?) d’une profession.
La protection du public
Si les relationnistes prétendent être reconnus comme des professionnels, ils doivent agir comme tels. Au Québec, la pratique des 45 professions reconnues est encadrée en vertu des principes suivants :
1. Les membres de ces professions exercent une activité reconnue d’intérêt publique et dont la maîtrise demande des études poussées permettant l’apprentissage d’un ensemble de connaissances spécialisées;
2. Comme seules les personnes ayant étudié dans ces domaines peuvent déterminer qui est compétent pour exercer, la responsabilité de la reconnaissance du droit de pratique est dévolue à l’ordre professionnel qui les regroupe. Pour illustrer, seul le Collège des médecins a le pouvoir d’autoriser une personne à pratiquer la médecine au Québec.
3. En retour de ce pouvoir qui leur est confié, les professionnels s’engagent, notamment à travers le respect de leur code de déontologie, à toujours exercer leur art dans le meilleur intérêt de leurs clients et à ne pas contrevenir à l’intérêt public. Ils sont regroupés dans un ordre professionnel dont la mission première est de protéger le public contre les abus ou l’incompétence de ses membres.
Nous sommes loin de voir les relations publiques reconnues comme profession. D’une part, il n’existe pas de consensus social suffisamment fort pour mener à la reconnaissance des relations publiques comme une pratique nécessaire au bon fonctionnement de la société. D’autre part, ni la SCRP, ni la SQPRP, ni aucun autre organisme, n’a le mandat ou le pouvoir de sanctionner les mauvaises pratiques de certains relationnistes. Notre champ de pratique est totalement non réglementé; tous et chacun peuvent décider du jour au lendemain de s’autoproclamer spécialiste en relations publiques.
Toutefois, l’absence de reconnaissance légale ne nous interdit pas de nous auto-réglementer. L’appartenance à la SCRP et à la SQPRP implique l’obligation morale d’en respecter le code de déontologie. Ces associations ont le pouvoir d’expulser les membres qui contreviendraient à ces codes (mais l’ont-elles jamais fait?) Dans ses travaux réalisés il y a trois ans, le comité de repositionnement de la SQPRP a identifié la promotion de la pratique professionnelle des relations publiques comme l’une des principales valeurs ajoutées de l’appartenance à cette association.
La protection du public s’applique donc au niveau de la pratique de chaque professionnel. Il s’agit de protéger nos clients et nos employeurs contre les abus et l’incompétence. Mais qu’en est-il de l’intérêt public, au sens large du terme, de la pratique des relations publiques?
La recherche de l’intérêt public
Pour que les relations publiques soient éventuellement reconnues comme profession, la société doit leur reconnaître une utilité. Quelle est cette utilité?
La réponse à cette question se trouve dans les fondements même de notre vie en société. Le processus démocratique à la base de notre système politique est indissociable de la libre circulation des idées et des opinions. Pour que les idées circulent librement et que les débats aient lieu, encore faut-il organiser ces idées et ces débats efficacement. Pour être partagée et débattue, l’information doit être mise en forme et rendue disponible au plus grand nombre. Les journalistes ont une conscience aigue de leur rôle à cet égard et se sont longtemps perçus comme les uniques dépositaires de la responsabilité d’informer. L’antagonisme entre journalistes et relationnistes découle d’ailleurs de ce qu’ils nous perçoivent, au mieux, comme des filtres inutiles et, au pire, comme des agents de manipulation au service d’intérêts particuliers. Et comme ce sont eux qui ont toujours contrôlé le contenu des médias, leur interprétation a toujours prévalue.
La réalité est cependant très différente. Dans le monde moderne, la multiplicité des voix et la complexité des organisations ouvre la porte à l’intervention très légitime d’autres intervenants que les journalistes pour structurer et diffuser l’information, et pour définir des mécanismes efficaces de débat public. Expliquons cela.
L’art et la science de la communication efficace est un domaine de la connaissance et un champ d’expertise en soi. Il n’est pas donné à tout le monde de parler ou d’écrire efficacement. Il faut maîtriser la parole et l’écrit, ainsi que les mécanismes de la perception et connaître les multiples pièges qui peuvent déformer le sens des messages. Ne serait-ce que pour parler efficacement aux journalistes, les organisations ont besoin d’une expertise spécialisée, mais il y a beaucoup plus. Les organisations doivent aussi se parler entre elles, échanger, discuter, négocier. Elles le font parfois par médias interposés mais aussi, idéalement, par des contacts directs et par leur participation aux mécanismes de consultation qui sont aujourd’hui devenus la norme.
L’aptitude à bien communiquer s’est graduellement imposée comme une condition d’efficacité importante pour les dirigeants des organisations Cela est d’autant plus vrai pour les organisations les plus importantes. Mais les dirigeants ont besoin de pouvoir compter sur une expertise en la matière et sur des ressources internes capables de prendre charge et de structurer les communications et les relations publiques, exactement comme cela se fait pour toutes les autres fonctions des organisations, par exemple la production ou le marketing. Au XXIe siècle, il est tout simplement impensable d’imaginer une organisation importante, dans quelque domaine de l’activité humaine, qui n’aurait pas recours à une expertise en relations publiques soit par le biais d’une équipe interne, soit par le recours à des services spécialisés.
La gestion efficace des relations entre les organisations contribue donc au bien commun. Comprenons-nous bien; il ne s’agit surtout pas de manufacturer un quelconque consensus artificiel et encore moins de supprimer des opinions dissidentes; cette vision des relations publiques n’a plus cours depuis belle lurette et seules les organisations obéissant à des réflexes d’une autre époque y croient encore – à leur détriment d’ailleurs. Ce dont on parle ici, c’est de l’articulation la plus claire possible des différentes options en présence dans le cadre d’un débat libre et démocratique, afin de permettre à chacun de se forger une opinion.
Les relations publiques jouent un rôle devenu très important, sinon essentiel. D’où l’importance de les encadrer de normes éthiques et déontologiques, à l’instar des autres professions reconnues, afin d’assurer non seulement la protection de nos clients, mais encore une pratique alignée sur les intérêts communs, sur l’intérêt public. J’invite fortement tous les lecteurs de ce billet à consulter divers codes d’éthique et de déontologie afin de renforcer leur propre compréhension. Il s’en dégage une tendance lourde que je résumerais ainsi, au risque de trop simplifier : Les relations publiques qui favorisent les échanges d’information et dont le but est d’éclairer les débats sont légitimes et éthiques. Celles qui visent à étouffer certaines opinions ou à obscurcir les débats sont illégitimes et non éthiques.
Ainsi, le Code d’éthique professionnelle de la SCRP affirme à son article 3 : «Tout membre doit s’astreindre aux plus hautes normes d’honnêteté, d’exactitude, d’intégrité, de vérité et ne doit pas sciemment diffuser des informations qu’il sait fausses ou trompeuses. »
http://scrp.ca/aboutus/code_ethic.aspx
Le code de la Public relations Society of America prescrit explicitement la libre circulation de l’information en établissant un lien direct entre cela et l’intérêt public : «Protecting and advancing the free flow of information is essential to serving the public interest and contributing to informed decision making in a democratic society.» et encore ««Open communication fosters informed decision making in a democratic society.»
http://www.prsa.org/AboutPRSA/Ethics/CodeEnglish/
Mais c’est encore dans le Code d’Athènes, adopté en 1965 par l’International Public Relations Association (IPRA) et modifié en 1968, que l’on retrouve exprimé le plus clairement les bases de la légitimité des relations publiques, exprimées cette fois en fonction de besoins humains fondamentaux. J’en reproduis ici de larges extraits :
(Début des extraits du Code d’Athènes)
«Considérant que l’homme, à côté de ses «Droits» (sic) a des besoins qui ne sont pas seulement d’ordre physique ou matériel mais aussi d’ordre intellectuel, moral et social et que l’homme peut réellement jouir de ses droits dans la mesure où ces besoins – dans ce qu’ils ont d’essentiel – sont satisfaits;
Considérant que les praticiens des Relations Publiques peuvent, dans l’exercice de leur profession, suivant la façon dont ils l’exercent, contribuer largement à satisfaire ces besoins intellectuels, moraux et sociaux des hommes;
Tout membre doit s’efforcer :
2. De créer les structures et les canaux de communication qui, en favorisant la libre circulation des informations essentielles, permettront à chaque membre du groupe de se sentir informé, concerné, responsable et solidaire;
3. de se comporter en toutes occasions et en toutes circonstances de façon à mériter et à obtenir la confiance de ceux avec lesquels il se trouve en contact;
Tout membre doit s’engager :
6. à respecter et à sauvegarder la dignité de la personne humaine et à reconnaître à chaque individu le droit de former, lui-même, son propre jugement;
7. à créer les conditions morales, psychologiques, intellectuelles, du vrai dialogue, à reconnaître le droit aux parties en présence d’exposer leur cas et d’exprimer leur point de vue;
8. à agir, en toutes circonstances, de façon à tenir compte des intérêts respectifs des parties en présence; ceux de l’organisation qui utilise ses services, comme ceux des publics concernés;
9. à respecter ses promesses, ses engagements, qui doivent toujours être formulés dans des termes qui ne prêtent à aucune confusion et à agir honnêtement et loyalement en toutes occasions afin de maintenir la confiance de ses clients ou employeurs, présents ou passés, et de l’ensemble des publics concernés par ses actions.
Tout membre doit s’interdire :
10. De subordonner la vérité à d’autres impératifs;
11. De diffuser des informations qui ne reposeraient pas sur des faits contrôlés et contrôlables;
12. de prêter son concours à toute entreprise ou à toute action qui porterait atteinte à la morale, à l’honnêteté ou à la dignité et à l’intégrité de la personne humaine;
13. d’utiliser toute méthode, tout moyen, toute technique de manipulation, en vue de créer des motivations inconscientes qui, en privant l’individu de son libre arbitre, ne l’obligeraient plus à répondre de ses actes.
(FIN des extraits du Code d’Athènes)
http://www.srrp.ch/files/Code_dAthene_Code_d136.pdf
La légitimité et l’utilité sociale des relations publiques est donc clairement établie. Elle repose sur des besoins humains fondamentaux ainsi que sur les exigences de la vie en société. Mais cette légitimité n’est valable que dans le cadre d’une pratique éthique.
La définition de la SCRP
Revenons à la définition des relations publiques de la SCRP citée par Anne-Marie : «Les RP consistent en la gestion des relations entre une organisation et ses divers publics par l’entremise de la communication, afin d’atteindre une compréhension mutuelle, de réaliser les objectifs organisationnels et de servir l’intérêt public.»
Premier constat : les RP ne résident pas dans le fait de communiquer, mais dans le fait de gérer les relations entre l’organisation et ses publics. Voilà déjà une première précision importante, qui fait allure ici de digression par rapport à mon propos principal mais que je ne puis m’empêcher de rappeler au passage tant elle est fondamentale.
Deuxième constat : les RP ne servent pas à n’importe quoi; elles ont comme finalité l’atteinte de la compréhension mutuelle, la réalisation des objectifs organisationnels, et de servir l’intérêt public. Je n’ai pas participé à la mise au point de cette définition et je n’en connais pas l’exégèse. Mais je crois que l’ordre dans lequel ces trois finalités sont exprimées est très important. Il faut d’abord assurer la compréhension mutuelle et ensuite voir à la réalisation des objectifs organisationnels, l’un ne va pas sans l’autre. Il y va aussi bien de l’intérêt de l’organisation elle-même que de l’intérêt général de la société.
Ceci demande une explication. La compréhension mutuelle ne signifie pas l’acceptation réciproque. Elle signifie que l’une et l’autre partie savent exactement à quoi s’en tenir relativement aux idées, aux opinions et aux projets de l’autre partie. La compréhension mutuelle peut parfaitement coexister avec un désaccord fondamental. L’important, du point de vue des RP, n’est pas d’assurer la réconciliation des parties (même si cela est souhaitable); l’important, c’est, d’une part, que chacun sache avec certitude ce que l’autre pense et, d’autre part, que soient maintenus ouverts des canaux de communication efficaces. Car lorsqu’un désaccord survient sur fond de communication franche et honnête, que la communication demeure ouverte et le respect présent, il est possible de circonscrire les effets négatifs au strict minimum, de mettre en place des mesures de mitigation, de discuter de compensation. Si, au contraire, un désaccord survient sur fond de méfiance et de dissimulation, les effets négatifs auront tendance à s’additionner et à s’amplifier en une escalade d’incompréhension et de méfiance pouvant mener à une rupture – et les désordres commencent généralement là où les parties ne se parlent plus. Par désordre, on peut entendre des poursuites, du sabotage, des grèves et des lock-out, des troubles sociaux, une agitation incessante dans les médias, des dommages à la réputation, des pertes de parts de marché.
Résumons : l’intérêt du client est que le dialogue prévale toujours sur le conflit, même dans les situations où les intérêts sont diamétralement opposés. Exprimé autrement : autant pour les gagnants que pour les perdants, la diplomatie est toujours préférable à la guerre. En élargissant la perspective à l’ensemble des interactions des organisations entre elles partout dans la société, il découle que l’intérêt général de la société passe par la présence de mécanismes de dialogue qui favorisent la résolution pacifique des conflits et la construction d’opinions individuelles et collectives éclairées.
Il n’y a donc pas opposition entre l’intérêt de mon client et l’intérêt public. Mon client a intérêt non seulement à atteindre ses objectifs organisationnels, mais aussi à le faire dans un climat où règnent la compréhension et le respect mutuels, même si la bonne humeur n’est pas au rendez-vous. C’est mal servir mon client que de le laisser se mettre en porte-à-faux avec l’intérêt public en poursuivant une stratégie basée sur la dissimulation, le mensonge et le refus du dialogue, où l’atteinte des objectifs se fait au prix de la paix sociale. Il arrive que ces stratégies livrent des résultats à court terme mais elles engendrent inévitablement une perte de confiance envers l’organisation qui y a recours et qui en subira des conséquences négatives sur le long terme. Et c’est mal servir ma propre crédibilité – et celle de ma profession – que de m’associer avec des pratiques contraires à la fois à l’intérêt public et à l’intérêt de mon client.
En conclusion, j’espère avoir été clair et j’invite les réactions et les commentaires.
dimanche 28 février 2010
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