Alors que j’avais été très déçu du 4e épisode, le 5e interpelle ma fibre professionnelle sous certains aspects. Prenons la décision de Philippe de donner la conférence de presse à la place de son client. Quand est-il souhaitable de parler à la place de nos clients ou pas? Je suis de l’école qui veut que règle générale, notre rôle est d’aider nos clients à communiquer et non de le faire à leur place. Cela est vrai en entreprise aussi bien qu’en agence.
Au début de ma carrière, j’avais tendance à vouloir accaparer les micros et à m’imposer systématiquement comme le porte-parole de l’entreprise ou du client. Avec le temps et certaines mésaventures, j’ai compris que cette approche est à la fois contraire aux intérêts du client et dangereuse pour le porte-parole. Je m’explique.
Le but ultime de la communication inspirée d’une pensée «relations publiques» est de favoriser la compréhension mutuelle et, lorsque possible, le rapprochement. La multiplication des intermédiaires ne favorise pas cela, au contraire. Un vieil adage italien dit quelque chose comme «Traddutore, tradditore» (mes excuses aux Italiens si j’ai la mauvaise orthographe) : les traducteurs sont des «traîtres» dans la mesure où à chaque reformulation d’un message – surtout dans une autre langue – il s’introduit toujours une certaine distorsion. Imageons ainsi notre propos à partir d’une situation idéale où tous sont de bonne foi et où n’intervient aucun filtre culturel :
INTÉGRITÉ DU MESSAGE
Ce que le client a en tête : 100 % du message
Le porte-parole comprend 90 % de ce que lui explique le client : 90 % du message
Le journaliste comprend 90 % de ce que lui explique le porte-parole: 81 % du message
Le journaliste réussit à entrer 80 % du message en 50 lignes : 65 % du message
Le lecteur comprend 90 % de ce qu’il lit : 58 % du message
Ce tableau illustre une situation idéale. Ajoutons-y encore quelques éléments :
Les préjugés ou les préoccupations du porte-parole qui peuvent l’amener plus ou moins consciemment à déformer certains éléments du message;
Les préjugés ou les préoccupations du journaliste qui ont le même effet;
Les messages contradictoires émanant d’autres sources;
La sélection des éléments du message qui sera opérée par le pupitre du journal;
Les préjugés ou les préoccupations des lecteurs.
Cet exemple très simple nous permet de tirer certaines conclusions :
1. Il y a toujours avantage à limiter le nombre d’intermédiaires dans la communication. Règle générale, le client est la meilleure personne pour parler de sa propre cause. Le rôle du relationniste est de l’aider à formuler son message, à lui inculquer les règles de la communication, à le pratiquer et à vérifier que le contexte de sa rencontre avec le ou les journalistes n’est pas piégé – j’y reviendrai.
2. Il y a avantage à travailler les messages pour les ramener à un petit nombre d’énoncés très clairs et faciles à comprendre. Cette obsession que nous développons avec le contrôle du message et que nous reprochent tant les journalistes est fondée sur la nécessité de contrer les phénomènes de communication que je décrivais plus haut. Notre travail est de faire en sorte que le message se rende sans avoir été déformé pour l’essentiel par les problèmes de communication ou les filtres culturels des intermédiaires (incluant les nôtres).
Par ailleurs, j’ai écrit que de se substituer systématiquement aux clients comporte un certain danger. Qu’en est-il? Nos clients viennent souvent vers nous dans des situations difficiles où ils ont pu commettre une erreur, ou voir leur responsabilité engagée d’une manière ou d’une autre. J’ai décrit dans un texte précédent notre propension très humaine à vouloir couvrir nos erreurs. Ils peuvent aussi être de mauvaise foi et chercher simplement quelqu’un pour les couvrir. Lorsqu’un client en difficulté vient vers moi, je commence toujours par m’assurer qu’il me dit tout. Je me souviens d’une situation où j’avais décidé trop rapidement d’accorder une entrevue dans une affaire où l’on accusait mon client d’avoir trompé des entrepreneurs pour me voir confronté, à la télévision en direct à une heure de grande écoute, à des documents incriminants que mon client m’avait dissimulé. Par manque de préparation, m’étais placé dans une situation où je défendais une personne malhonnête et c’est ma réputation qui en souffrait.
Tout cela étant dit, il existe des situations où il est préférable d’utiliser un porte-parole rompu aux techniques d’entrevue. Quelles sont-elles? Je vous propose quelques idées à ce sujet.
Premièrement, considérons le client. Possède-t-il, ou possède-t-elle, les qualités d’un(e) bon(ne) porte-parole? C’est en soi le sujet d’un article complet. Disons simplement pour faire court que ces qualités concernant autant la capacité d’écoute et d’ouverture que la facilité d’expression et la compétence sur le sujet.
Deuxièmement, considérons la situation. S’agit-il d’une conférence de presse, d’une annonce importante? Si tel est le cas, il est difficilement justifiable de recourir à un porte-parole plutôt qu’au sujet lui-même. Si par contre il s’agit de répondre à des appels de routine des médias, il est parfaitement justifiable de recourir à un porte-parole dont c’est le travail. Entre en jeu ici une autre évaluation : le degré de connaissance du journaliste. Connaît-il la situation? L’entreprise? Le domaine d’activité? Lorsque j’agis comme porte-parole, je le fais toujours après avoir étudié le plus en profondeur possible le sujet. Ma règle est fort simple : tant que j’en connais plus que le journaliste, c’est moi qui lui parle. Mais lorsque je fais affaire avec un journaliste spécialisé, dont la connaissance du sujet est égale ou supérieure à la mienne, alors j’organise une rencontre avec le client et évidemment j’y assiste pour approfondir davantage ma connaissance du sujet.
Troisièmement, considérons le contexte. S’agit-il d’une annonce à caractère routinier ou plutôt technique ou, au contraire, s’agit-il d’une situation explosive où les émotions sont à fleur de peau? Dans le premier cas, la situation requiert la maîtrise des contenus et un minimum de techniques d’entrevue. Dans le second, les contenus sont moins importants que l’émotion et une très grande maîtrise des techniques d’entrevue est requise; il faut faire appel à un porte-parole très bien entraîné.
Il y a d’autres aspects de ce 5e épisode que j’aurais aimé aborder, notamment la remarque ironique faite à Philippe par son père, qui le voit utiliser des moyens qu’il réprouvait naguère. Réponse de Philippe (que je simplifie) : tout est question de contexte et d’intention. Je suis bien d’accord avec lui mais il me faudrait encore quelques pages pour y répondre et le temps me manque.
Réflexions? Commentaires? Je lance ce message comme une nouvelle bouteille dans la cyber-mer (la cymer?)
http://guyversailles.blogspot.com/
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Cher Guy,
RépondreSupprimerJ'ai lu avec plaisir tes commentaires. Bien que je n'aie pas vu cet épisode de Mirador, je souscris entièrement à ton évaluation de la difficulté pour un porte-parole - qu'il soit relationniste ou de l'entreprise - de bien communiquer.
A mon avis, ces compétences peuvent être acquise, mais doivent être soutenues régulièrement par de la pratique...
Au plaisir de continuer à te lire !
Je suis d'accord avec toi, Guy, sur le fait que le meilleur porte-parole est le client. Selon les situations, le client doit être un porte-parole bien entraîné et aguerri, parce que les journalistes ne lui feront pas de cadeau. Je souris toujours lorsque j'entends les journalistes nous reprocher de ficeler les messages (spinner comme ils disent). Ne font-ils pas cela eux aussi, au nom des cotes d'écoute et du lectorat ? Pas étonnant que plusieurs journalistes finissent leur carrière au sein d'agence de relations publiques... Enfin, j'ajouterais que les habitudes des consommateurs et la présence des médias sociaux nous forcent à revoir ces pratiques traditionnelles que sont le communiqué et la conférence de presse.
RépondreSupprimerMerci pour cette analyse qui nous ramène aux _réalités_ de notre métier. J'espère que les gens de Mirador prennent des notes ;)
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