Je suis un lecteur assidu du 30, par intérêt pour le journalisme (j'ai un bacc en journalisme de l'Université Laval) et parce que je crois que les enjeux des journalistes recoupent en partie ceux des relations publiques. D'une part, nous avons besoin les uns des autres au quotidien. D'autre part, les journalistes ont quelques années d'avance sur les relationnistes dans leur grand débat relatif à la professionnalisation. À ce sujet, le secrétaire général de la FPJQ, Claude Robillard, signe un article fort intéressant dans l'édition de septembre 2010.
La crise économique qui secoue les médias menace l'information journalistique elle-même. Il semble que dans les travaux du groupe Payette sur l'avenir de l'information (1), l'on discuterait d'un soutien gouvernemental au maintien des médias d'information et du journalisme lui-même. Si le gouvernement est un jour appelé à soutenir le journalisme, «un statut professionnel clair et identifiable devient alors techniquement nécessaire, pour s’assurer que ladite aide sert bien à créer des emplois de journalistes». En d’autres mots, si les journalistes veulent l’aide de l’État pour eux ou pour les médias d’information, il faudra forcément les définir avec précision. Ce qui relance le débat sur le statut professionnel, véritable serpent de mer du journalisme québécois.
Dans un tableau fort éclairant, Robillard résume les deux pôles autour desquels s’articulent les conceptions dominantes du journalisme d’aujourd’hui. Il prend soin de préciser que les journalistes ne se divisent pas en deux camps et qu’un journaliste peut se reconnaître parfois dans une conception et parfois dans l’autre. Il n’en demeure pas moins que ces deux pôles résument très bien les deux conceptions dominantes du journalisme. Et qu’ils m’interpellent comme relationniste. Voyons plutôt.
L’approche «libérale»
Elle repose sur la liberté des médias et des journalistes. L’absence de contraintes sert l’intérêt public. Du choc des idées, même les plus odieuses, naît la vérité. Les médias sont meilleurs qu’ils ne l’ont jamais été. La liberté de presse est menacée par des forces extérieures aux médias. Les excès et les dérapages sont le prix à payer pour la liberté de presse. La presse est un contre-pouvoir qui demande des comptes aux puissants ; un contre-pouvoir ne peut pas demander à un pouvoir de le protéger. L’État est l’ennemi No 1 de la presse, il faut le garder à distance car ce fut toujours l’oppresseur de la liberté de presse. Il faut maintenir l’accès libre au journalisme pour tous et surtout ne pas définir qui est ou n’est pas un journaliste.
L’approche «républicaine»
Elle met l’accent sur la responsabilité sociale des médias et sur l’utilisation responsable de sa liberté par le journaliste. Il faut privilégier la diffusion d’informations qui favorisent la vie démocratique et l’intérêt public. Les excès et les dérapages de l’information discréditent les journalistes. La liberté de presse est menacée par les pouvoirs extérieurs, mais aussi de l’intérieur des médias par des directions et des journalistes irresponsables. La presse est un pouvoir immense sans contre-pouvoir, ce qui n’est pas sain. L’État a pour objet de servir le bien commun. C’est le seul intervenant capable de contrer la concentration de la presse et le pouvoir des conglomérats. Il faut créer un statut légal de journaliste et définir qui est journaliste.
S’agissant spécifiquement de la reddition de comptes, les «libéraux» estiment que le Conseil de presse et le Guide de déontologie, auxquels l’adhésion est volontaire, suffisent. Les «républicains» affirment plutôt le besoin de renforcer le Conseil de presse et d’adopter un code de déontologie plus contraignant.
J’avoue pencher personnellement davantage pour la conception républicaine. Peut-être en partie par tempérament (certains diront par naïveté) ; j’ai toujours été respectueux de l’autorité et des institutions. Mais aussi par expérience. J’ai plusieurs fois été victime de journalistes aussi convaincus de la justesse de leur cause qu’ignorants des faits. Il y a peu de choses aussi dangereuses pour la vérité qu’un journaliste imbu d’une mission, et il y en a, à droite comme à gauche. En journalisme comme dans tous les domaines d’activité, il faut des institutions pour former, encadrer et prévenir les dérapages (2). Par contre, de puissants arguments soutiennent aussi la vision libérale. L’État n’est peut-être pas «l’ennemi No 1 de la presse» mais il serait effectivement dangereux pour l’équilibre démocratique de lui conférer le pouvoir de définir qui est journaliste, donc qui peut le critiquer. De plus, les «missionnaires» ont parfois raison envers et contre l’establishment politique et financier et si leurs attaques sont souvent mal fondées, il arrive aussi souvent qu’elles soient justifiées. Il n’y a pas de liberté possible sans une certaine mesure de désordre. La solution optimale, s’il en est une, regroupe des caractéristiques de l’une et de l’autre approche.
Conclusion ? Les journalistes québécois discutent de la professionnalisation depuis longtemps. Laissés à eux-mêmes, ils ne règleront jamais le débat. Reste à voir si les forces économiques qui bouleversent leur univers forceront une évolution dans un sens ou dans l’autre. Chose certaine toutefois, ce débat concerne tous les citoyens car une presse forte est absolument essentielle au maintien de la démocratie. Il concerne aussi plus spécifiquement les relationnistes car les conditions d’exercice du journalisme exercent une influence directe sur notre propre travail.
(1) En novembre 2009, la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine a demandé à la journaliste Dominique Payette de mener une analyse sur l’avenir de l’information au Québec dans le contexte des changements technologiques. Mme Payette doit remettre son rapport en décembre 2010.
(2) Les salles de nouvelles des grands medias jouent en partie ce rôle et ne serait-ce que pour cette raison, il faut les préserver. Je suis d’accord avec Jean-François Lisée, qui affirme la nécessité de reconnaître comme une institution en elle-même la salle de nouvelles.
lundi 13 septembre 2010
mardi 7 septembre 2010
Enbridge utilise efficacement les relations publiques
Un peu de publicité gratuite pour le Globe & Mail. Dans l’édition de ce matin (6 septembre 2006) les journalistes Cidgem Iltan et Shawn McCarthy rendent compte des efforts de relations publiques très efficaces du PDG d’Enbridge, Pat Daniel.
Dans la foulée du désastre engendré par la fuite de pétrole dans le Golfe du Mexique, la fuite survenue au pipeline d’Enbridge ne pouvait qu’exacerber les passions instantanément. Les conséquences négatives non seulement pour l’image mais aussi pour les projets d’investissements dans de futurs pipeline d’Enbridge auraient pu être catastrophiques. Or, Enbridge s’en tire très bien jusqu’à maintenant, grâce surtout à l’engagement de son PDG.
Pat Daniel s’est personnellement rendu disponible pour la population de la région affectée pas seulement pour une ou deux rencontres, mais de manière continue, durant plusieurs mois. « Cette situation est la priorité la plus importante de notre entreprise et je me suis engagé personnellement envers les gens de cette région » affirme-t-il. Il s’est livré à de multiples rencontres et même, si l’on en croit l’article, à du porte à porte.
Certes, la fuite a rapidement été contenue et la quantité de pétrole répandue est relativement minime, mais c’est clairement l’implication personnelle sincère et prolongée de son PDG qui a fait la différence. « Il est sincère, raconte un résidant qui l’a rencontré. Dans notre petite communauté, notre poignée de main et notre parole sont importantes et cet homme a définitivement démontré qu’il est ici pour nettoyer la place. »
Il y a eu des difficultés, par exemple des plaintes à l’effet qu’Enbridge forçait des résidants à abandonner leur droit de poursuivre en échange de chambres d’hôtel et de purificateurs d’air. Ou encore qu’un sous-contractant embauchait des immigrants illégaux pour les travaux de nettoyage. Mais le fait dominant demeure l’engagement ferme de la compagnie envers l’effort de nettoyage.
Quelques constats :
• Une entreprise (la personne morale) ne peut pas manifester de compassion ou d’intérêt sincère envers des personnes; seule une personne physique peut faire cela. Et la personne qui représente l’entreprise ne peut être que son PDG.
• Rien ne remplace l’intérêt véritable, l’empathie sincère. Dans le cas présent, cet intérêt s’est vérifié non pas par la déclaration du PDG déclarant que l’opération de nettoyage est sa priorité, mais par le temps - des jours et des semaines - qu’il a pris pour rencontrer la population.
• En même temps, l’empathie seule n’aurait pas suffit, si Enbridge n’avait pas réussi à colmater rapidement la fuite, la crédibilité de M. Daniel se serait inévitablement érodée avec le temps, comme cela est arrivé au PDG de BP l’été dernier. L’opération de relations publiques passe obligatoirement par l’action, qui crédibilise les paroles.
Les exemples contraires que sont l’explosion de la plateforme de BP dans le Golfe du Mexique et la fuite dans le pipeline d’Enbridge illustrent l’impact énorme que la gestion de la réputation aura sur une entreprise, sur le long terme. Dans le premier cas, BP semble avoir réussi le triste exploit de ravir la tête du palmarès des « vilains » de l’industrie pétrolière, qui était détenu depuis 20 ans par le naufrage de l’Exxon Valdez au large des côtes de l’Alaska. Dans le second, Enbridge semble avoir réussi à transformer un désastre potentiel en démonstration convaincante de son souci envers l’environnement et les collectivités impactées par ses projets. Laquelle de ces deux entreprises vous apparaît la mieux placée pour défendre un futur projet d’investissement?
Évidemment il y a d’autres dossiers dans la cour d’Enbridge, je ne prétends pas faire le tour de la question dans le cadre très restreint de ce billet. Constatons toutefois que dans le cas spécifique de la fuite survenue dans ce pipeline, elle aura réussi à sauvegarder sa réputation en mettant en œuvre les principes fondamentaux de relations publiques efficaces et éthique.
Dans la foulée du désastre engendré par la fuite de pétrole dans le Golfe du Mexique, la fuite survenue au pipeline d’Enbridge ne pouvait qu’exacerber les passions instantanément. Les conséquences négatives non seulement pour l’image mais aussi pour les projets d’investissements dans de futurs pipeline d’Enbridge auraient pu être catastrophiques. Or, Enbridge s’en tire très bien jusqu’à maintenant, grâce surtout à l’engagement de son PDG.
Pat Daniel s’est personnellement rendu disponible pour la population de la région affectée pas seulement pour une ou deux rencontres, mais de manière continue, durant plusieurs mois. « Cette situation est la priorité la plus importante de notre entreprise et je me suis engagé personnellement envers les gens de cette région » affirme-t-il. Il s’est livré à de multiples rencontres et même, si l’on en croit l’article, à du porte à porte.
Certes, la fuite a rapidement été contenue et la quantité de pétrole répandue est relativement minime, mais c’est clairement l’implication personnelle sincère et prolongée de son PDG qui a fait la différence. « Il est sincère, raconte un résidant qui l’a rencontré. Dans notre petite communauté, notre poignée de main et notre parole sont importantes et cet homme a définitivement démontré qu’il est ici pour nettoyer la place. »
Il y a eu des difficultés, par exemple des plaintes à l’effet qu’Enbridge forçait des résidants à abandonner leur droit de poursuivre en échange de chambres d’hôtel et de purificateurs d’air. Ou encore qu’un sous-contractant embauchait des immigrants illégaux pour les travaux de nettoyage. Mais le fait dominant demeure l’engagement ferme de la compagnie envers l’effort de nettoyage.
Quelques constats :
• Une entreprise (la personne morale) ne peut pas manifester de compassion ou d’intérêt sincère envers des personnes; seule une personne physique peut faire cela. Et la personne qui représente l’entreprise ne peut être que son PDG.
• Rien ne remplace l’intérêt véritable, l’empathie sincère. Dans le cas présent, cet intérêt s’est vérifié non pas par la déclaration du PDG déclarant que l’opération de nettoyage est sa priorité, mais par le temps - des jours et des semaines - qu’il a pris pour rencontrer la population.
• En même temps, l’empathie seule n’aurait pas suffit, si Enbridge n’avait pas réussi à colmater rapidement la fuite, la crédibilité de M. Daniel se serait inévitablement érodée avec le temps, comme cela est arrivé au PDG de BP l’été dernier. L’opération de relations publiques passe obligatoirement par l’action, qui crédibilise les paroles.
Les exemples contraires que sont l’explosion de la plateforme de BP dans le Golfe du Mexique et la fuite dans le pipeline d’Enbridge illustrent l’impact énorme que la gestion de la réputation aura sur une entreprise, sur le long terme. Dans le premier cas, BP semble avoir réussi le triste exploit de ravir la tête du palmarès des « vilains » de l’industrie pétrolière, qui était détenu depuis 20 ans par le naufrage de l’Exxon Valdez au large des côtes de l’Alaska. Dans le second, Enbridge semble avoir réussi à transformer un désastre potentiel en démonstration convaincante de son souci envers l’environnement et les collectivités impactées par ses projets. Laquelle de ces deux entreprises vous apparaît la mieux placée pour défendre un futur projet d’investissement?
Évidemment il y a d’autres dossiers dans la cour d’Enbridge, je ne prétends pas faire le tour de la question dans le cadre très restreint de ce billet. Constatons toutefois que dans le cas spécifique de la fuite survenue dans ce pipeline, elle aura réussi à sauvegarder sa réputation en mettant en œuvre les principes fondamentaux de relations publiques efficaces et éthique.
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