Quelques réflexions personnelles découlant du livre de Matthieu Sauvé
Les relations publiques autrement - Vers un nouveau modèle de pratique
Matthieu Sauvé, M.A. ARP, FSCRP
Presses de l'Université du Québec, 2010
Les relations publiques évoluent en parallèle avec les organisations auxquelles elles appartiennent. Tournées essentiellement vers la propagande il y a un siècle, elles ont graduellement déplacée leur attention vers la création de relations avec les publics, parfois avec l’intention de vendre, de convaincre ou d’imposer, et parfois avec l’intention de favoriser la compréhension mutuelle et le rapprochement. Mais il serait plus juste de dire que les définitions se sont additionnées plutôt que de se succéder. Tant et si bien qu’aujourd’hui, il en existe des centaines. Alors que le marketing, qui a émergé durant la même période et à partir des mêmes savoirs, s’est trouvé un centre, les relations publiques ont éclatées dans toutes les directions. Qui sommes-nous ?
De cette multitude de définitions, une conception dominante des relations publiques s’est tout de même imposée, celle du modèle managérial. Les relations publiques seraient une fonction de gestion, dont le rôle consiste à favoriser l’atteinte des objectifs de l’organisation par la création et le maintien de relations avec ses divers publics. La plupart des définitions contemporaines incluent aussi une forme ou une autre de responsabilité sociale, ou de respect de l’intérêt public. Mais voilà que surgissent les questions : Est-il possible de défendre à la fois l’intérêt particulier d’une organisation et l’intérêt public de la société dans laquelle elle agit? Est-il possible d’aspirer à un dialogue authentique avec les parties prenantes dans le cadre d’une pratique fondée sur le concept de messages clés auxquels il faut se tenir? Pouvons-nous réellement prétendre au rôle de fonction de gestion alors que les organisations qui nous emploient nous relèguent plus souvent qu’autrement à des fonctions techniques?
À partir de ces préoccupations fondamentales, Matthieu Sauvé questionne les prémices mêmes de la conception moderne des RP. L’ouvrage est plutôt technique mais à force d’éplucher les contours théoriques de la profession, il esquisse graduellement le pacte Faustien que les relationnistes ont scellé en acceptant le modèle managérial : En retour de notre siège à la table de la coalition dominante, nous acceptons de subordonner l’intérêt public à l’intérêt particulier de l’organisation, tout en essayant tant bien que mal de maintenir notre cohérence intellectuelle.
L’illusion est assurée par la multiplicité des définitions de ce qu’est l’intérêt public, concept fourre-tout s’il en est, que l’on utilise pour servir nos propres intérêts de diverses manières. Pour certains, l’intérêt public désigne la somme des intérêts particuliers; toute fin devient alors légitime. On peut aussi invoquer une forme de darwinisme social : laissons tous les acteurs s’exprimer et les plus vigoureux l’emporteront. Mais la plupart du temps, nous résolvons le dilemme moral en affirmant tout simplement que le but poursuivi par notre organisation est d’intérêt public et nous développons une argumentation en ce sens. Cette posture morale est devenue tellement commune et répandue que, comme l’air que l’on respire, nous n’en avons plus conscience.
Matthieu Sauvé nous propose une autre vision des relations publiques, selon laquelle ce n’est pas ce que font les relationnistes qui changerait, mais les raisons pour lesquels ils le font. Ils demeureront des facilitateurs dans la rencontre des parties, mais plutôt que de viser l’atteinte des objectifs de l’organisation, leur objectif serait «d’apporter un niveau de satisfaction équitable aux attentes ou aux besoins de tous les acteurs en présence».
Cette vision, on l’aura compris, ne pourra devenir réalité que le jour où les organisations elles-mêmes accepteront d’endosser un rôle et une responsabilité sociale qui tienne compte des trois dimensions politiques, sociales et économiques qui caractérisent leur insertion dans la société.
Utopique? Peut-être pas tant que cela. Car les organisations, mêmes les plus puissantes, sont elles aussi condamnées à évoluer. Rappelons-nous le chemin parcouru depuis les années 1950, où la grande entreprise imposait à tous ses seuls objectifs économiques : «Ce qui est bon pour General Motors est bon pour l’Amérique» pouvait déclarer son PDG, et toute l'Amérique l'applaudissait. L’action incessante des groupes militants dans les domaines des droits humains, du travail et de l’environnement, l’impasse planétaire qui menace alors que nous voyons nos ressources s’épuiser et notre environnement se dégrader, les insuffisances manifestes de la pensée économiste à régler les problèmes sociaux et politiques issus de déséquilibre dans le partage de la richesse, l’émergence d’une nouvelle génération de gestionnaires formés à l’internationalisme et aux enjeux de Bruntland, concourent puissamment à redéfinir la société et les organisations qui la composent.
Naguère centrées sur elles-mêmes, les grandes entreprises s’ouvrent graduellement à leur environnement et constatent la réalité des interdépendances. Hier, elles avaient le pouvoir d’imposer leur volonté. Aujourd’hui, elles doivent négocier. Voilà pourquoi je conclus que, bien que son occurrence demeure exceptionnelle dans le monde d’aujourd’hui, le modèle proposé par Matthieu Sauvé s’inscrit clairement dans l’avenir des relations publiques.
dimanche 26 décembre 2010
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