PROPAGANDA
Edward Bernays, publié en 1928
Réédité en français en 2007 par LUX éditeur
Notre confrère André Valiquette a lu et commenté ce livre dans un texte paru le 27 novembre 2008 sur le site web de la SQPRP (et encore disponible dans les archives de Regards RP). J’ai eu la curiosité à mon tour de lire ce grand classique. Je voudrais ajouter quelques remarques à celles d’André. Je commenterai sur trois aspects auxquels il me semble particulièrement utile de réfléchir aujourd’hui.
Premièrement, le caractère intemporel de l'oeuvre. On croirait que l’évolution des dernières décennies aurait rendues caduques ces analyses vieilles de trois générations humaines et de dix révolutions technologiques mais il n’en est rien. Car au-delà de l’illusion de la toute-puissance de la technologie, on comprend à la lecture de cet ouvrage à quel point l’efficacité de tout ce qui touche à la communication, incluant les relations publiques, repose d’abord et avant tout sur une bonne compréhension de l’humain.
Ainsi, l’extrait suivant préfigure exactement le modèle bidirectionnel symétrique de Grunig : «(le travail des relations publiques) consiste à amener le commanditaire à comprendre ce que souhaite l’opinion et, dans l’autre sens, à expliciter pour l’opinion les objectifs du commanditaire… l’idéal est de faciliter la compréhension entre enseignants et enseignés, enrte le gouvernement et le peuple, entre les institutions charitables et leurs donateurs, entre les nations.» Bernays multiplie les exemples où divers types d’organisation doivent, pour atteindre leurs objectifs, en arriver à une forme ou une autre d’entente mutuellement satisfaisante avec ses publics. Point de manipulation ici, mais beaucoup de compréhension réciproque. «Le grand public n’est pas une masse amorphe modelable à volonté, écrit-il encore, il a sa propre personnalité, comme l’entreprise a la sienne, et l’enjeu consiste justement à les amener sur un terrain d’entente.»
Deuxièmement, la lecture de Propaganda nous ramène à nos origines communes avec le marketing. Cette discipline ne s’est véritablement constituée dans sa forme moderne que vers le milieu du siècle, lorsque furent conceptualisés les «4 P» (Produit, Prix, Promotion, Place). Avant cela, elle se fondait avec les relations publiques. Ainsi, Bernays établit les bases de la différentiation et du positionnement marketing lorsqu’il propose aux fabricants de trouver d’autres arguments de vente que celui du moindre prix, de doter leur produit «d’un attrait particulier, d’une qualité qui le rendra légèrement différent, d’un trait d’originalité qui le distinguera des marchandises comparables.» Il a aussi très bien compris l’importance de la propagande pour permettre aux grands manufacturiers de créer la demande pour leurs produits.
Troisièmement, je me dois de revenir à l’introduction de Normand Baillargeon, qui condamne sans appel la pratique des relations publiques comme contraire à la démocratie. Il faut regretter cette attitude qui repose sur une vision unilatérale et réductrice de la propagande. Celle-cia toujours eu une bien mauvaise presse. Nous nous méfions tous instinctivement de ce savoir par lequel il serait possible de nous manipuler. Il faut aussi constater qu’il a engendré, par l’usage abusif qu’on en a fait, les pires traumatismes enregistrés par l’humanité au XXe siècle, notamment l’horreur Nazi et les massacres, pogroms et autres génocides qui sont toujours précédés d’une campagne de conditionnement de l’opinion. Mais doit-on pour autant condamner l’outil sans appel, ou, plutôt éduquer les populations à en reconnaître les bonnes et les mauvaises utilisations? Car ce sont les mêmes techniques de persuasion qui convaincront les populations d’adopter de meilleures habitudes de vie ou de ne plus tolérer la violence envers les faibles, ou d’assassiner son voisin à la machette. Le véritable progrès n’a jamais été de bannir un savoir potentiellement dangereux, mais d’apprendre à bien l’utiliser.
La notion de propagande a continué à évoluer depuis l’époque de Bernays, ce que semblent oublier ses détracteurs. Je cite ici l’ouvrage de Danielle Maisonneuve, «Le syndrome de la cage de Faraday», pages 42 et 43 où, citant plusieurs auteurs contemporains, elle situe la propagande dans le double contexte de la quête de sens perpétuelle des individus, qui réclament des interprétations logiques de la réalité dans laquelle ils évoluent, et des organisations qui veulent légitimement leur proposer de telles interprétations sous forme d’une vision cohérente faisant appel à certains faits sélectionnés. La propagande sera «noire» si elle repose sur une distorsion volontaire des faits ou sur la diffusion de faits que l’on sait erronés; elle sera «blanche» si elle retient uniquement des faits véridiques. Tous les relationnistes professionnels savent que leur code d’éthique leur interdit formellement la première. Et la seconde ne représente rien d’autre qu’une variante de la liberté de presse. Peut-on reprocher à une organisation de faire valoir son interprétation de la réalité, dès lors qu’elle le fait honnêtement?
Mais encore ici, ces notions sont-elles réellement nouvelles? Bernays lui-même ne disait pas autre chose : «beaucoup trouvent certes que ce mot, propagande, a une connotation déplaisante. Il n’en est pas moins vrai que, pour déterminer si la propagande est un bien ou un mal, il faut d’abord se prononcer, et sur le mérite de la cause qu’elle sert, et sur la justesse de l’information publiée.»
Définitivement un grand classique, à relire périodiquement.
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